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Une présidence française sous l’étendard du numérique

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01 Mar 2022

Le 1er janvier 2022 a officiellement débuté la présidence française au Conseil de l'Union Européenne (institution co-législatrice  et représentant les intérêts des États membres, par la voix de leurs ministres). Bien qu'essentiellement symbolique, puisque intégrée dans des cadres plus larges, comme le cadre tri-présidentiel organisé avec les présidences tchèques et suédoises qui suivront, la présidence

Corentin Prelot

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L'avancement des projets de régulation législative européenne

Du côté de la régulation numérique, deux textes majeurs pourraient être définitivement adoptés d'ici l'issue de la présidence française : le Digital Market Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA). Pour l'heure, les deux futurs Règlements européens sont au même stade ; après une validation de principe par le Conseil et le Parlement sous divers amendements, les deux institutions se réuniront avec la Commission européenne, rédactrice des projets, afin d'arriver à un compromis sur le texte final. Il s'agit de la procédure informelle du « trilogue ».

Sur le contenu des textes, le DMA tend essentiellement à rétablir une concurrence équitable entre acteurs dans le monde numérique, en palliant les lacunes du droit commun de la concurrence pour réprimer les dérives anticoncurrentielles auxquelles les géants du numérique s’adonnent. A ce titre, le document se divise en deux grandes parties.

La première partie est une définition des « contrôleurs d’accès » fondée sur le nombre d’utilisateurs actifs intra européen de leurs services, ainsi que de son chiffre d’affaires dans l’espace européen ou sa capitalisation boursière. Il s’agit pour l’essentiel de capter dans le champ d’application de ce texte les grandes plateformes numériques, qui représentent sur internet le point de contact entre le consommateur final et l’ensemble des entreprises utilisatrices de ces systèmes. En somme, réseaux sociaux, marketplaces, plateformes vidéo, moteurs de recherches, hébergeurs cloud seront concernés par cette réglementation (en l’état actuel du projet) si tant est qu’ils dépassent les seuils d’applicabilité du règlement, sur lesquels les institutions européennes ne se sont, pour le moment, pas accordées.

La seconde est un panel d’obligations et d’interdictions qui s’appliqueront à ces donneurs d’accès. Elles sont quasi systématiquement liées à la question de l’utilisation des données collectées par ces géants. En premier lieu, le contrôleur d’accès sera interdit de faire usage des données acquises en tant que contrôleur d’accès pour en tirer indument profit dans ses autres services. On pense ici notamment à la double-casquette d’Amazon, à la fois marketplace et vendeur concurrent avec les vendeurs tiers sur cette même marketplace.

Le DMA vise également à garantir la possibilité des entreprises tierces de proposer leurs biens ou services par plusieurs canaux, à des conditions tarifaires différentes, sans qu’aucun contrôleur d’accès ne puisse l’y interdire. Pour ce faire, un accès direct aux données par les entreprises utilisatrices semble envisagé. Enfin, le DMA prône la transparence tarifaire des contrôleurs d’accès auprès des entreprises utilisatrices dans bon nombre de domaines.

Toutes ces obligations - dont une multitude mériteront une définition plus précise - sont accompagnées d’un pouvoir de contrôle, d’enquête et de sanctions de la Commission européenne, calqué sur celui dont elle dispose dans le cadre de ses compétences en matière de pratiques anticoncurrentielles. Engagements, injonctions assorties d’astreintes et amendes jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires composent cet arsenal répressif (à noter que le Parlement souhaite modifier ce chiffre pour y inscrire un seuil plancher de 4 % et un seuil plafond de 20 %).

Quant au DSA, son leitmotiv se résume assez clairement par une déclaration du commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, « Tout ce qui est interdit dans l’espace physique doit désormais l’être dans l’espace numérique ». Ainsi, le DSA traite de la question des contenus illicites et préjudiciables (précisons que ce second terme n’est pas encore défini) qui sont diffusés en ligne. Les biens illicites vendus sur les plateformes devront également être contrôlés de la même manière.

La responsabilisation des plateformes du numérique est le moteur de l’ensemble des dispositions du DSA. Son champ d’application sera vraisemblablement plus large que celui du DMA : sont visés les fournisseurs de services intermédiaires. Néanmoins, bon nombre d’exemptions sont envisagées pour les petites et micro-entreprises.

Le projet de législation prévoit de faire peser sur les fournisseurs de services intermédiaires l’obligation de suppression des contenus illicites qu’ils hébergent, dans le cadre d’une procédure de notification par l’autorité administrative ou judiciaire.

Parmi les principaux points abordés par la DSA, figurent également l’obligation de transparence vis-à-vis de la publicité en ligne proposée sur la base des données personnelles collectées. La méthodologie relative à ces suggestions publicitaires devra être détaillée dans un registre.

Là aussi, des sanctions sont envisagées par le texte. Celles relatives aux manquements aux  obligations prévues par le DSA peuvent aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise en cause.

Les contours d'une souveraineté numérique dessinés

L'Union européenne est basée sur une union de droit sans cesse plus étroite entre ses membres. Cette harmonisation, couplée à l'objectif d'une concurrence libre et non faussée, l'a conduit à être très frugale vis-à-vis de tous les mécanismes permettant à un État de faire bénéficier à ses entreprises d'un avantage pécuniaire. C'est notamment le cas des subventions qui sont très fortement encadrées par les règles sur les aides d'États.

Cependant, plusieurs mécanismes permettent encore aux États d'utiliser ces leviers économiques, et notamment celui des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC). Ainsi, le ministre de l'Économie Bruno le Maire a déclaré que la France investira 8 milliards d'euros dans de tels projets, qui seront concentrés sur cinq secteurs : les batteries électriques (1,5 milliard), les semi-conducteurs (1,7 milliard), l'hydrogène (3 milliards), la santé et le cloud (300 millions d'euros). L'objectif est de soutenir l'implantation de nouveaux acteurs européens, pour garantir cette fameuse souveraineté numérique européenne.

Puisque la présidence française s'inscrit dans un cadre pluriannuel bien plus large, il est primordial d'évoquer la boussole numérique pour 2030, élaborée par la Commission européenne. Celle-ci y fixe des objectifs très concrets : une couverture 5G et une connexion gigabit intégrales sur le territoire européen ; 10 000 nœuds edge cloud neutres en carbone et hautement sécurisés ; la production de 20 % des microprocesseurs mondiaux sur le sol européen ; la numérisation totale des services publics ; le doublement des « licornes » (startups valorisées à plus d'1 milliard de dollars).

Enfin, n'oublions pas le plan de relance adopté par les États membres et proposés par la Commission, à hauteur de 750 milliards d'euros, et dont 20 % des investissements devront être alloués au secteur du numérique. Avec autant d'objectifs à moyen et court termes, l'Europe devra se donner les moyens de ses ambitions !

Dernière minute !

La Commission européenne a dévoilé, mardi 8 février, son plan pour rapatrier 20 % de la production des semi-conducteurs mondiaux d'ici 2030 (et donc quadrupler la production actuelle). Un projet financièrement colossal puisqu'estimé à plus de 43 milliards d'euros d'investissements publics de tout genre, visant essentiellement à financer la recherche et développement, ainsi que la relocalisation de l'industrie en Europe. Un paquet législatif pour en assurer la mise en œuvre a été proposé au Parlement et au Conseil. De quoi confirmer que la présidence française sera mouvementée...